Simenon Simenon

Nous avons le grand plaisir de présenter à Chaumont l’exposition Simenon Simenon : Le strict nécessaire, sans luxe inutile — la beauté cachée des vieux poches (1950−1990) de Georges Simenon. Venez légers, il n’y a rien à comprendre, il faut simplement regarder, déguster les couvertures et se régaler. Vous ressortirez avec une furieuse envie de lire. Entrée gratuite. Du 10 avril au 20 octobre 2025, au  Signe, Centre National du Graphisme, Chaumont (Haute-Marne).

Commissariat et scénographie : Élodie Boyer, Pierre-Yves Cachard, Bernd Hilpert
Fabrication du mobilier et de la doublure : Mario Pitassi
Collection : Élodie Boyer (296 livres de poche exposés dont 188 FR, 72 NL, 36 GB, DE, IT, ES).
Un grand merci à l’équipe formidable du Signe, à Catherine Danchin pour son don de rose, à Fédrigoni pour son don de gris, et à la Pépinière du Fort de Tourneville (Ville du Havre pour son prêt de l’alvéole 5.


Pour tout savoir sur le projet : Le strict nécessaire, sans luxe inutile

C’est fou comme les idées arrivent. Et comment les choses adviennent.

Vendredi 22 mars 2024.
Je n’avais jamais lu un Simenon de ma vie. Je possédais quelques poches dans ma bibliothèque sans trop y prêter attention, j’avais dû les chiner dans des boîtes à livres. C’est pour remplir les huit heures de train entre Bruxelles et Leipzig que j’ai lu La Veuve Couderc. Le poche était moche, c’était un Folio Policier noir des années 2000. On m’avait dit qu’il ne fallait pas sous-estimer Simenon, certains prétendaient même que celui-ci était plus fort que L’Étranger de Camus. Alors je l’avais glissé dans mon sac. Premier pied dans la marmite.
À la foire du livre de Leipzig, je découvre les Best Book Design from all over the World. Une collection de livres de poche, simple, efficace, minimaliste, reconnaissable, utilisant uniquement de la couleur et du texte, est médaille de bronze. Ça m’interroge. Certains s’échinent à avoir des idées impossibles, des reliures infaisables, des techniques d’impressions folles, d’autres font des poches, tous sont primés.
Dans une trattoria à Leipzig, Daniel de Roulet avec qui je fête un prix, me conseille de faire appel à une figure du monde de l’édition pour relancer le catalogue Non Standard. Quelqu’un comme Pierre Assouline par exemple.

Dimanche 24 mars 2024.
Retour au Havre. Cinq heures de route pour flâner. Simenon ne me lâchait pas, je pensais encore à la chaleur dans son roman, à la sueur, à ses personnages, aux ruses qu’ils employaient pour ne pas être vus, au charme de la lenteur des gestes, bref. J’écoute un podcast pour faire connaissance. Quatre épisodes de presque une heure. Pierre Assouline, biographe de Simenon, fait une nouvelle apparition. Deuxième pied dans la marmite et une envie soudaine de dévorer des « romans durs ».

Lundi 25 mars 2024.
En librairie c’est impossible, les poches disponibles en rayon tuent l’amour. Sur Momox, c’est guère mieux. Dans l’espoir de lire en beauté, grâce à quelques titres désirés, je fouille Google images. Et là, dans l’incroyable étendue des couvertures miniatures, je commence à repérer des pépites, des filons, des livres-qu-il-faut-absolument-posséder- de-toute-urgence. Moi qui croyais avoir déjà tout vu… Je change assez vite de tactique, j’oublie les titres j’affine les prompts, je les prends par lots entiers, des lots-surprises. Je quadrille Le Bon Coin, je rafle Rakuten, je pille ebay, je piste les bouquinistes néerlandais, je me fixe un budget, je le dépasse… Je choisis un point relais-colis, j’enfourche ma bicyclette et récupère mes butins. Tous les jours. Routine de luxe. Métier de rêve : récipiendaire de Maigret de poche usagés (parfois très).

Mardi 26 mars 2024.
Les étudiants de Bruxelles viennent livrer le mobilier de l’exposition Non Standard avec Francesca. C’est vraiment un bon moment mais qu’est-ce que ça m’encombre. C’est la première fois que l’exposition revient au Havre depuis son Tour de France (Amiens, Metz, La Haye, Rouen, Bruxelles). La dépendance est pleine. Pleine de cartons de livres, pleine de panneaux de bois, de montants, de néons, de tabourets : le dispositif de « Making Books Together » is back. Que faire ? Comment utiliser ce qui existe déjà ? Comment faire circuler tout ça ?

Mercredi 27 mars 2024.
Une seule solution : l’exposition. J’alerte mes complices. Pierre-Yves et Sébastien. Je partage quelques images, demande confirmation. Ils cautionnent. Encore faut-il trouver la manière de faire briller le vif-argent de ces couvertures aussi innocemment radicales. Comment donner à ressentir l’audace et l’extravagance d’éditions qui n’ont jamais cherché à se montrer ? Et surtout qui accepterait de jouer avec nous ? Qui voudrait s’intéresser à cette histoire si peu orthogonale ? Qui oserait dire au monde que le design nous tombe parfois dessus sans surexposition ni surlignage ? Le Commissaire Cachard est définitif, sans tarder il dit : « Élodie, tous à Chaumont ! ».
Alors, je soigne nos arguments et calme mon enthousiasme, l’effet collection est imparable, et à cette date, samedi 30 mars, on est encore loin, très loin d’avoir tout découvert. Bernd reçoit quelques images, pas la peine de lui expliquer longtemps, il a deviné, on trouvera une solution pour convertir le mobilier Non Standard en dispositif d’exposition pour les poches de Simenon. Faire une fête et vider les lieux ! Je ne pense qu’à ça.
Le vendredi 5 avril, plus rien à perdre, j’écris à Jean-Michel et Mariina au Signe : « […] En quelques mots, on voudrait faire une exposition avec des livres de poche concernant un seul auteur : Georges Simenon (+/- 192 romans signés Simenon et 700 millions d’ex vendus). Ce n’est donc pas le designer qui est la clef d’entrée (comme l’expo Pierre Faucheux ou Joseph le Callennec), ni l’éditeur (comme l’expo Blanche ou l’oubli, ou Dressed in black — Spektrum), mais l’auteur du texte ; Simenon, auteur tellement prolixe que des collections ont été designées spécialement pour lui, des logos, des systèmes graphiques sophistiqués pour encaisser le nombre sans s’essouffler. […] On a plusieurs titres possibles. Notre préféré pour l’instant est Simenon Simenon. ».
Le lundi 8 avril, trois jours après donc, chance et joie immenses, Le Signe dit banco. Et c’est parti pour un an de Simenonade. Quartier libre. Textes et images.
Ainsi, en mai 2025, on présente à Chaumont une sélection de 296 premières ou quatrièmes de couverture de livres de poche (1950−1990) de Georges Simenon, dont 188 françaises, 72 néerlandaises, 12 italiennes, 12 allemandes, 12 anglaises, américaines et espagnoles. Les photographes sont identifiables mais les designers tous anonymes, sauf un, et ses couvertures ne sont pas les plus fameuses.
On adopte un parti-pris, un seul, tout à fait non standard : ne pas étourdir à grands coups de paratexte, ne rien élucider, laisser déguster.
On élabore une installation qui conserve intacte la secousse initiale de ces visuels « sans luxe inutile », le plus souvent cachés aux revers des médailles, en 4e de couv’, à l’abri du regard des Marchés.
On touche avec les yeux car c’est un muscle qu’il faut bien entraîner. L’allure l’emporte sur la bienséance, aucun ordre apparent, aucune règle, les systèmes parlent d’eux-mêmes, les faibles éclairent les forts, petites respirations dans un maelström conçu par Bernd et fabriqué par Mario. Pour la forme, on n’a conservé que le « strict nécessaire », le dispositif d’accrochage est pensé comme un écrin avec fond « rose crémeux de sorbet » recommandé par Catherine. Cette longue traque sans objet est devenue une longue traîne d’objets tous précieux, parce qu’ils jouent aux plus fins avec leur inépuisable sujet : Simenon Simenon.

Texte écrit pour le Catalogue de la Biennale (Chaumont 2025) par Élodie Boyer avec Pierre-Yves Cachard.