J’ai accompagné mes enfants voir Star Wars VII au cinéma à Noël. J’étais curieuse de voir comment Disney allait gérer cet « héritage mythique » très cher payé. Quelles trouvailles géniales allaient faire rêver les nouvelles générations et remplir les rayons ? Eh bien, j’ai tout reconnu et pourtant je connais fort mal cette saga, tout était lisse et sans surprise : les personnages principaux ont vieilli comme nous tous, les sabres laser sont toujours là (avec la pathétique variante en épée), les costumes sont tous bien reconnaissables, façon cow-boy d’un côté et gravure de mode visionnaire et froide de l’autre, les véhicules terrestres flottent encore, les répliques légendaires sont reprises à l’identique, les robots de mon enfance, C‑3P0 et R2-D2, ont fait une brève apparition à la fin comme pour réactiver l’intérêt pour ces produits dérivés. Finalement, qu’est-ce que Disney a inventé ? Un petit frère robot BB‑8 sympathique mais déjà vu, des blagues pas drôles et des méchants qui ressemblent à des nazis. En résumé pas grand-chose, pas de magie pourtant chère à Disney, comme si le nouveau propriétaire voulait largement profiter de la poule aux œufs d’or sans prendre le moindre risque… Alors que c’est précisément le risque et la création qui nourrissent les marques et les mythes.
Cet événement m’a fait penser au phénomène que l’on rencontre aussi dans la vie des marques. Pourquoi les grands groupes qui achètent très cher une marque originale et indépendante, inévitablement l’épuisent et la vampirisent au lieu de la nourrir et de la faire fleurir ? Pourquoi les petits sont-ils libres et les grands sont-ils forcément contraints ?
Vous souvenez-vous de la surprise, de la douceur et de la pureté de la marque Orange quand elle est née anglaise dans les années 90 ? Et de l’humour décapant de la marque de cosmétiques pour homme Nickel qui nous a tous inspirés et donné envie d’oser ? Je ne parle même pas de Canal + qui se doit d’être hors norme ou qui ne sera plus Canal. Je suis sûre que vous avez tous en tête des exemples de « marque d’auteur », de pépites brisées par des rachats. On dirait que c’est plus fort qu’eux. Les grands groupes sont séduits par les petites marques libres et impertinentes qui osent et qui plaisent. Ces groupes sont donc prêts à payer une fortune pour que ces petites marques prometteuses leur appartiennent, et quand ils les possèdent, ils les cassent. Comme un jouet.
Pour prospérer, les marques doivent toujours créer et se réinventer ; ceci est aussi valable pour les « vaches à lait ». On ne peut pas se contenter de puiser dans le patrimoine, ressortir le sac légendaire ou le logo centenaire. Il faut nourrir aujourd’hui, il faut créer, sans cesse créer, tout en respectant l’esprit de la marque évidemment. Ce n’est pas parce qu’on applique une charte graphique qu’on peut se contenter de copier-coller. Au sein même d’une charte graphique il faut créer, sinon la marque s’étiole, s’étrique et in fine se meurt. La marque vous donnera beaucoup mais il ne faut jamais oublier de la nourrir. Seule la création, l’invention, l’innovation, la nouveauté juste, nourrissent une marque. Même les mythes ne peuvent se reposer sur leurs lauriers… Alors vive les créateurs et les auteurs, et tous au travail en 2016 !
1. Disney rachète « Star Wars » pour 4 milliards de dollars. Source : http://www.lefigaro.fr/societes/2012/10/31/20005–20121031ARTFIG00280-disney-rachete-star-wars-pour-4-milliards-de-dollars.php
2. France Telecom a racheté Orange en 2000 pour 43,2 milliards d’euros. Source : http://tempsreel.nouvelobs.com/economie/20000529.OBS4777/france-telecom-rachete-l-operateur-orange.html
3. Nickel, fondé en 1996 par Philippe Dumont, avait été rachetée en 2004 par Interparfums, pour un montant de 7 millions d’euros. En 2013, L’Oréal a fait une offre pour reprendre la marque au groupe Interparfums, pour un montant de 3,2 millions d’euros. Source : http://www.lefigaro.fr/societes/2013/09/10/20005–20130910ARTFIG00717-l-oreal-rachete-les-cosmetiques-pour-hommes-nickel-a-interparfums.php