Cela fait un certain temps que je me dis : comment se fait-il qu’avec plus de moyens, plus de science, plus de technologie, plus d’expérience, nous faisons moins bien. J’ai l’impression que les leds ont été très efficaces pour réussir à faire moins bien. C’est le cas par exemple de la signalétique sur les bus parisiens, les numéros en led ne sont plus nets, impossible de savoir si c’est un orange, un rouge, peut-être un rose ? Idem pour les verts et les bleus. L’œil a une mémoire très fine des couleurs, bien plus nette que nos mots. La nuance de couleur – conjuguée au numéro – joue un rôle majeur dans l’orientation, la décision, le confort : oui c’est bien mon bus, je monte… Pour les tabacs, les carottes restent bien rouge mais alors quel déclin ! Cela faisait un certain temps déjà que les carottes de tabac étaient malmenées. Elles avaient une relation douloureuse avec le losange jaune de la plume presse, ce qui conduisait à toutes sortes de misères graphiques, sans parler du loto, le la « FDJ » et du PMU qui venaient s’ajouter au bazar. Et pourtant, comme les carottes anciennes étaient belles et bien visibles, elles faisaient partie du paysage.
Avec l’arrivée des carottes en led, fines, malingres, superficielles, clinquantes, on dirait des carottes de pacotilles, des carottes kitsch comme si elles étaient devenues chinoises. Tout frétille mais plus rien ne se voit. Le contraste entre la typographie outline et le fond rouge est misérable, on dirait que ces carottes sont conçues pour être éclairées 24⁄7 (bonjour l’économie ! encore un paradoxe très actuel). Alors je pense à Victor Hugo qui disait si bien : « la forme, c’est le fond qui remonte à la surface ». J’aimerais parfois que Victor Hugo se trompe, car s’il a raison, le fond fait de plus en plus peur…
Au départ, la carotte était une évocation du tabac vendu en petit rouleaux, qui faisaient penser à des carottes.