Dans le Design Fax 1098, je lis « Carré Noir dessine […] la nouvelle identité d’Institut Polytechnique de Paris, nouveau nom […] regroupant l’École Polytechnique, l’ENSTA ParisTech, l’ENSAE ParisTech, Télécom ParisTech et Télécom SudParis. » Je continue ma lecture « Simplicité et statut, sont les maîtres-mots qui ont guidé la création ». Je m’empresse d’aller voir : déconvenue… puis colère.
Ce logo n’est pas simple [1], il est surchargé comme une étape de travail. Comment un nom aussi long peut-il être répété deux fois [2], la redondance n’a jamais été signe d’élégance ? La conjugaison bold et light d’une typographie bâton est vue et revue [3]. Le monogramme IP stylisé (qui évoque un X mais pas trop, et un sabre) ressemble fort au symbole créé par Carré Noir pour l’Institut Pasteur dans les années 1990, toujours en vigueur (IP fait Phi cette fois-ci, avec le point du i également hors cercle). Ce n’est certes pas le même sujet ni peut-être les mêmes classes juridiques, mais il est délicat de se copier soi-même à ce point… Tandis que Design Fax cite sans ciller : « Le symbole est un cercle qui dessine le monde, l’alliance et la plénitude, ce cercle est ouvert et porte une ambition partagée et la promesse de futurs rapprochements ».
Colère au carré. Je n’ai pas du tout envie de mettre le bazar ni de cracher dans la soupe car je dois quelque chose à Carré Noir (j’y ai travaillé avec joie et fierté entre 1999 et 2001), mais il faut quand même se dire les choses. Oui, il est très compliqué de créer et de faire valider un logotype juste, unique et simple pour rassembler différentes entités, toutes chargées d’histoire ; la tâche est laborieuse, rude, politique. C’est précisément notre métier. Alors, par respect pour nous-mêmes et pour notre crédibilité à tous, nous n’avons pas le droit de créer une identité visuelle qui est moins bien que la réalité (ou dans d’autres cas, moins bien que la précédente). « Polytechnique » est un fleuron français, cette institution a un charisme fou, elle mérite une identité visuelle exceptionnelle, pour la France, pour sa place sur la scène internationale.
Colère au cube. Il faudrait aussi arrêter d’écrire le contraire de ce que l’on fait, arrêter tout court d’écrire sur les créations, on est trop vieux pour ça, la rengaine des cercles qui ouvrent nous lasse tous. Alors créons vraiment, et attendons que les signes fassent leur propre trace.
Ne m’accablez pas de revanches, de belles et de comptages de points. Je ne suis pas parfaite, et comme vous, j’essaie de faire bien ; chaque jour c’est une bataille. Essayons seulement de faire mieux, pour servir.
Elodie Boyer
Tribune parue dans Design Fax #1099 du 18 février 2019.
[1] Je sais bien que le logotype n’est pas l’identité visuelle, mais quand même.
[2] Bien sûr, il y aura l’image de profil sur les réseaux sociaux où le symbole seul dira le nom, en tout petit, sans que le nom soit répété horizontalement, mais quand même.
[3] Le lettrage n’a ni la grâce ni l’intérêt de La Grande Épicerie de Paris, un des premiers du genre en France. Depuis une dizaine d’année, ce traitement typographique a envahi l’espace, il est aujourd’hui usé.