Rue Beaubourg à Paris, je tombe par hasard sur ces passages piétons « rainbow », sans connaître leur histoire. Évidemment ils interpellent par leur beauté visuelle, mais en y réfléchissant, c’est avant tout leur beauté symbolique qui secoue et qui bouleverse. Chaque détail compte. Et ici tout est parfait. Ces longues bandes arc-en-ciel, issues du drapeau de la Gay Pride, sont toujours séduisantes par leur gaité. Mais c’est le rapport établi avec le passage piéton noir et blanc qui les charge immensément et qui les transforme infiniment. Rapport de contraste, rapport d’épaisseur, rapport de sens, rapport de position. Le contexte les métamorphose et leur donne une puissance nouvelle, universelle. Situées le long, de part et d’autre et perpendiculaires au passage protégé, les bandes arc-en-ciel se remplissent du message officiel « attention fragile ». Ainsi, sans un mot, avec une force phénoménale et avec une grâce folle, la ville, la voirie, l’autorité publique, déclare qu’il faut protéger les LGBT car ils peuvent être en danger, ils sont même en première ligne, ils sont surexposés car ils ouvrent et ils ferment le passage piéton. Protéger les gays devient une priorité, c’est même un ordre. Ce geste leur donne un droit.
Au départ, je croyais que c’était un acte illégal, militant et heureux, a priori interdit mais toléré car très juste, bien vu et respectueux de l’espace public. Après recherche, c’est la Mairie de Paris qui a installé les bandes arc-en-ciel aux portes du Marais à l’occasion du mois de la fierté gay en juin 2018. Provisoires à l’origine, ces bandes sont devenues définitives, en réponse à des actes de vandalisme anti-gay. Alors désormais elles se patinent, et cela les rend encore plus attachantes, protéger les LGBT devient normal. C’est une consolation, un encouragement, de voir que des petits gestes peuvent devenir grands et importants.
D’autres versions ont été réalisées, en transformant le passage piéton lui-même en arc-en-ciel ; le résultat est ludique et léger, mais sa puissance symbolique n’a rien à voir. Je me demande toujours si ceux qui ont conçu ce passage non standard avaient conscience du sens de chaque signe. Et si cette perfection est le fruit du hasard, d’une intuition ou si tout a été finement pesé, designé, balancé.